Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas...

William remerciant Anaïs et commença à manger presque automatiquement. En même temps, il détailla Anaïs. Elle avait l'air en bonne santé, elle avait repris des couleurs pendant la nuit et ses joues réussissaient joliment quand elle était un peu gênée. Ses cheveux étaient propres et resplendissaient quand elle secouait la tête. Pas de doute, elle était magnifique. Et sexy. Il avait envie de la prendre dans ses bras et de lui faire faire des choses pas très chrétiennes. Mais bon, ce serait pour plus tard. Pour l'instant, mieux valait profiter de l'instant. Il finit à un rythme surprenant le premier morceaux de pain et entama directement l'autre, puis prit le temps d'avaler sa bouchée avant de lancer, très intéressé :

"Ah bon, parce que tu aimes bien m'avoir dans ton lit ?"

William rit. Bon sang, à la voir approcher si sérieuse il s'était dit un instant qu'il l'avait vexé ! Elle était à la limite du raisonnable et il avait la chair de poule, mais il avait promis d'apprendre à se contrôler, et s'il ne prenait jamais de risques, cela n'allait jamais se faire. Bon, peut-être qu'ils avaient une légère tendance à prendre plus de risque que la moyenne des gens normaux, mais après tout ils étaient des particuliers, c'était logique. Et franchement, si prendre des risques c'était avoir la perspective de pouvoir faire un jour tout ce qu'il souhaitait faire avec Anaïs, le sacrifice valait le coup. Parce qu'être cantonné à deux mètres,c'était vraiment très très frustrant par moments. Bon, ce qu'il allait faire n'était pas raisonnable. Pas raisonnable du toit, même. Il se leva et poussa Anaïs sur le lit, le temps de lui faire deux trois bisous dans le cou, puis, avant de s'exposer à un pétage de plombs en règle, se redressa et s'éloigna vers la salle de bains en se délectant de sa tête de poisson surpris.

"Si tu voyais ta tête ! Bon, je vais chercher mes affaires."

Un véritable gamin, ce type. Bref, il la ça.ses chaussures et mit rapidement son tee-shirt en laissant la porte grande ouverte, le sourire toujours aux lèvres.

William entendit Anaïs approcher dans son dos. Il évitait ostensiblement de regarder dans le miroir. Il avait été idiot de s'enfermer à clé hier, c'était carrément s'exposer directement à ses cauchemars. Peut-être la fatigue du moment. Maintenant qu'il était bien reposé, il pourrait peut-être cesser d'agir avant de réfléchir, mais vu ses antécédents ça m'étonnerait d'y arriver. Enfin, pas grave, ils s'en étaient bien sortis jusque là, il n'y avait pas de raisons que ça s'arrête là. Il était en train de ranger ses couteaux un à un avec les gestes habituels quand Anaïs s'exprima, toute joyeuse. Son bonheur était contagieux puisque William se sentit sourire. Il mit sa veste par-dessus sa chemise, et répondit en même temps :

"Bien sur que j'ai apprécié ! Par contre,si on pouvait faire en sorte que ça dure plus longtemps..."

Il se retourna avec une lueur lubrique dans le regard en mettant sa chaîne sous son tee-shirt, contre sa peau. Ça y est, il était habillé.

"Bon, me voilà prêt. Et toi ?"

Il était pressé de sortir de cette pièce exigue et de sentir l'air frais sur son visage.

William, tout en marchant, écoutait d'une oreille distraite la respiration d'Anaïs derrière lui. Il avait vaguement peur qu'elle le touche mais sa confiance en elle étouffait cette possibilité sans problème, alors il se concentrait sur la route en se disant qu'il faudrait qu'il trouve une créneau aujourd'hui pour aller courir, puisqu'il s'était levé tard ce matin. Tout son train-train quotidien en était bouleversé, et même si cela ne lui plaisait guère - c'était particulièrement déroutant, en fait - il se sentait plus reposé que jamais. Pourquoi n'avait-il donc pas fait de cauchemar ? Grâce à Anaïs, ou au hasard ? Le mystère était entier. En tout cas, William n'allait pas se plaindre, et il retenterait bien l'expérience, même si cela voulait dire de se réveiller par terre. Il savait qu'il devait être particulièrement fatigué pour le faire, sinon il ne se serait jamais laissé aller, de peur de mal réagir si elle le touchait. C'était un miracle qui s'était passé ce matin, en plus du fait qu'il ne s'était pas réveiller quand elle l'avait touché pour le pousser hors du lit. Rien qu'à imaginer ce qui aurait put se passer, un frisson lui parcouru la colonne vertébrale.
C'est alors qu'Anaïs posa sa question, et il fut si surpris qu'il s'arrêta tout net et s'écarta de justesse avant que la jeune fille ne lui rentre dedans. Il secoua la tête en se disant que décidément Anaïs n'était pas une fille comme les autres et répondit sans réfléchir:

"Hé bah, tu es quelqu'un de bien, de magnifique, de très courageux, de très têtu et tu aimes aider les cas désespérés dans mon genre. J'aime passer du temps avec toi, ça me fait sentir plus..."

Il réfléchit quelques secondes en cherchant le mot adéquate.

"... Plus vivant. Pourquoi ?"

"Oui, j'en ai oublié beaucoup, mais je m'attendais pas non plus à cette question."

Après cette première phrase, William sourit devant son innocence. Si elle ne se rendait même pas compte de sa beauté, c'était soit qu'elle ne se regardait jamais dans la glace, soit qu'elle était très humble. En tout cas, elle avait vraiment l'air de penser qu'elle était comme les autres. Mais quand on la voyait, on était forcément obliger de penser à un moment ou un autre qu'elle était belle. Et cela ne plaisait pas à William, il casserait la figure au premier qui la lorgnerait. Il ne fallait pas pousser, non plus. Elle était maligne, et, en plus, belle. Que demander de plus ? William chercha une idée pour exprimer ce qu'il pensait.

"Tu en as là, dit-il en montrant sa tête, mais ce que je préfère, c'est ce que tu as là."

Il désigna son cœur à une distance respectable.

"Tu t'en sers bien mieux que la plupart des êtres humains, ajouta-t-il en se remettant en marche. Quant à moi, désolé de te l'apprendre mais ca fait longtemps que je suis un cas désespéré. T'inquiète pas, je me suis fait à l'idée."

William attendit une autre question qui ne vint pas. Pourtant, ça ne le dérangeait pas du tout d'y répondre, c'était même assez flatteur qu'elle veuille en apprendre plus sur lui. Craignait-elle qu'il prenne mal ses paroles ? Il n'avait pas eu l'impression de répondre brutalement, mais peut-être qu'elle l'avait interprété ainsi. Tant pis. Ils progressèrent alors en silence, mais William ne le trouvait pas frustrant. La forêt avait ses bruits personnels, des sons que l'on étend que si on le prend le temps de se taire et d'écouter. Bien sur, il y avait les cris des oiseaux, mais aussi ceux des autres animaux et le frémissement du vent dans les branches. William aimait ce lieu, sa paix le rassurait. Ici, les êtres vivants qui l'entouraient étaient doués de paroles muettes qu'il aimait essayer de décrypter. Et c'était le cas dans tout le forêt de Cairnholm. Le jeune homme entendit soudain un choc suivi d'un bruit sourd : Anaïs avait failli se ratatiner par terre et avait évité la catastrophe en se rattrapant à un rocher qui traînait là. Le visage de William se fendit d'un grand sourire qu'il avait bien du mal à cacher. En fait, il n'essayait même pas et se retint de faire un commentaire malicieux.

"Tu verras, dit-il finalement. Tu veux marcher devant ? On peut parler en même temps, hein, c'est pas interdit."

Sur ce, il s'effaça pour la laisser passer si elle voulait ouvrir la marche.

"Pose-moi une autre question, puisque que tu es si curieuse."

William lui emboîta le pas. En fait, ça lui plaisait bien d'être à l'arrière : Anaïs avait de jolies fesses moulées dans son jean, ils devraient aller en balade plus souvent. Ce n'était pas comme s'il ne les avait pas déjà observé, mais ce n'était pas un truc dont on se lassait facilement.
La récréation ne dura pas, car la question fusa bien vite et il dû réfléchir et donc se concentrer un peu. Comment était sa famille? Il se souvenait de moins en moins bien, mais il lui semblait qu'ils étaient un foyer normal dans les années 30. Il n'y avait pas de divorces, à cette époque, et peut-être que ça n'aurait rien changer à sa vie mais quelque chose lui disait que sa mère n'avait pas été heureuse. Ou alors, elle n'aimait pas parler.

"Dans ma famille, nous étions quatre enfants. Je suis originaire d'Irlande, on a quitté le pays quand j'étais petit. Mon grand frère, l'aîné, est resté au pays et je l'ai vu une ou deux fois, pas plus. Par contre, j'étais toujours avec le second fils de la famille. A nous deux, on faisait les quatre cents coups. Je l'adorais littéralement, je faisais tout ce qu'il me disait. Je me faisais souvent prendre mais en grandissant faire des bêtises est devenu plus facile et toujours aussi drôle. Mon père était du genre très autoritaire, comme tous les hommes respectés de l'époque. Il avait des idées très arrêtées sur la politique, je buvais ses paroles. Par contre, qu'est-ce qu'on prenait quand on se faisait attraper à faire des idioties ! Ma mère au contraire était renfermée et taciturne, très religieuse, la bonne épouse au foyer.J'avais aussi une petite sœur, que j'aimais beaucoup. Elle avait six ans de moins que moi. Ma mère a insisté pour qu'on lui redonne un prénom français. Elle s'appelait Marie."

William se tut, demandant du regard à Anaïs si ça répondait à sa question.

William fronça les sourcils. Les revoir? A vrai dire, ça ne lui était jamais venu à l'idée. Il était dans la boucle, ils étaient dehors, à partir de ce moment-là on pouvait dire adieu à toute tentative de rendez-vous familiale. Est-ce qu'il aimerait les revoir ? Maintenant, ses parents étaient sans doute morts, son frère aîné aussi. Il restait peut-être Marie, elle serait très vieille et n'aurait sûrement plus toute sa tête.
Mais même s'il les revoyait à l'époque où il les avaient connu - ce qui était impossible - il n'avait aucune idée de ce qu'ils penseraient de lui.

"Je ne sais pas. J'ai beaucoup changé."

C'était laconique, comme réponse, mais il n'en avait pas d'autre. Quant à son frère... Lui était toujours vivant, c'était obligé. Était-il lui aussi dans une boucle? Tous ses efforts depuis le début n'avaient servi à rien, et pourtant il s'était démené pour retrouver le déserteur, la honte de la famille. Il n'avait jamais eu la moindre nouvelle de lui. William serra imperceptiblement les poings, en colère contre ce frère si cher, absent et lâche qu'il n'avait même pas su retrouver.

William leva les yeux au ciel, de moins bonne humeur que tout à l'heure. La plupart des souvenirs qu'il avait de sa famille étaient heureux, mais le départ de son frère pour la guerre et la nouvelle qu'il avait déserté avait divisé ses membres. Son père, très fier, n'avait jamais plus parlé de lui à la maison, et quand il y avait des bombardements et que tout le monde se réfugiait dans les caves, il était évident que sa mère était sur le point de pleurer à chaque nouvelle explosion. Marie était trop petite pour comprendre, mais pas William qui avait appris à garder ses questions pour lui. Peut-être que c'est à partir de ce moment-là qu'il avait commencé à être taciturne. Ou alors peut-être que ça n'avait rien à voir.
Le jeune homme, perdu dans ses pensées, faillit foncer dans Anaïs qui s'était arrêtée et le regardait d'un air malicieux. Alors comme ça, elle voulait qu'il soit "contre elle" ?

"Moui, mais ça va être moins facile par là," fit-il en montrant un chemin adjacent qu'on voyait à peine tant les mauvaises herbes le masquait.

Il montait raide, mais si la mémoire de William était bonne, il n'était pas très long. C'était une randonnée sportive, surtout les derniers mètres qui donnait l'impression d'escalader une montagne. William parvint en haut le premier et sourit à une Anaïs haletante.

"Aller, courage, on y est bientôt !"

Lorsqu'elle l'eût rejoint, il l'emmena un peu plus loin, lui dit de fermer les yeux, de se retourner, et puis :

"Ouvre les yeux."

William regarda le paysage qui s'ouvrait devant eux. En même temps, comment ne pas le regarder? La forêt s'étalait en une nuée verte délimitée par les falaises et les champs qui se réduisaient à des tâches vertes et quelques collines juste avant l'immensité bleu de l'océan. C'était là qu'on voyait combien cette petite île perdue du Pays de Galles était belle quand on prenait le temps de la regarder. Anaïs était radieuse et rien que pour la voir comme ça il aurait donné tout l'or du monde. Il sourit, ravi que sa surprise soit réussie... Et si ses paroles lui firent beaucoup de bien, il ne... Et s'il osait ? Essayer n'était pas un crime. Par contre, la blesser en était un. Il s'approcha d'elle, comme au ralenti, mais ne pût pas aller plus loin que la trentaine de centimètres : il tremblait si violemment qu'il dû s'obliger à s'asseoir pour se calmer.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, ça allait un peu mieux, mais il maudit encore une choix sa foutue peur et adressa un regard désolé à la jeune fille.

"J'espère," marmonna-t-il.

William leva les yeux et contempla quelques instants le paysage pour se persuader qu'Anaïs disait la vérité. Mais il avait beau faire, son esprit rationnel lui rappelait à chaque fois qu'il était impossible d'en être certain. Sa hantise était de ne jamais pouvoir combattre cette phobie du toucher, de voir tous ses espoirs vains. Il se maudit de penser ainsi, s'apitoyer sur lui-même ne changerait rien et l'empêcherait de profiter de la compagnie qu'il avait.

"À moi de poser des questions, décida-t-il pour leur changer les idées à tous les deux, dis-moi depuis combien de temps tu es ici, comment on t'a accueilli et..."

Il hésita à poser sa dernière question, conscient que ce ne serait pas très drôle pour Anaïs de repenser à sa famille.

"Comment était ta sœur."

Il ne comprenait pas comment on pouvait renoncer à quelqu'un de son sang comme ça. Lui-même avait fait tout son possible pour retrouver son frère dégénéré et déserteur, sans l'accord de son père qui n'en avait jamais rien su.

Elle lui ressemblait énormément. William essaya d'imaginer une Anaïs en plus petite, les cheveux et les yeux un peu plus foncés, avec un caractère moins calme, moins mature, plus enfantin, moins... Moins Anaïs, en fait. C'était difficile, mais faisable. William avait une image en tête, ce n'était sûrement pas la bonne, mais d'après la description, ça y ressemblait bien. Une Anaïs en modèle réduit à la voix aiguë et incapable de tenir en place. William fronça les sourcils, pas très convaincu, et sourit gentiment à la véritable Anaïs.

"Je pense que je l'aurais pas supporté."

Les gamins... Pourtant, il avait été un grand frère attentionné et attentif aussi loin qu'il se souvienne. C'était parce qu'il avait changé ?.. En tout cas, il enviait la tranquillité et la patience naturelle d'Anaïs, de véritables trésors quelques fois là où lui s'énervait pour un rien.
Alors c'était ça ? Le fait qu'elle soit petite, fragile, naïve, qu'elle croit ce que ses parents lui disaient qui lui avait fait accepté la séparation ? Pour lui, il était impossible d'oublier comme ça, même pour une famine haute comme trois pommes. Il regarda Anaïs. Sa petite sœur se souvenait forcément d'elle, mais est-ce que lui faire savoir changerait quelque chose ?
Quand à son âge... William leva les yeux au ciel.

"Une trentaine d'années ! C'est mon âge, ça ! Je sors avec une vieille fille qui a presque vingt ans de plus que moi, si c'est pas malheureux !"

Il lui fit une grimace.

"Je ne te croyais pas comme ça... Tu abuses du faible enfant que je suis.

Pas crédible pour un sou, et il comptait là-dessus pour la faire rire.