Premiers contacts [Swan Atkins – Luke Nash]

01/07/2015

Il faisait beau. Il ne s'y habituerait jamais, la lumière l'éblouissait toujours autant, il ne savait pas si cet état d’hébétude face à ce qu'il ne connaissait pas durerait longtemps. En tout cas, il était heureux d'être là, c'était le moins qu'on puisse dire. Et infiniment curieux de toutes ses petites choses qui faisaient le quotidien des gens depuis des générations et générations. Ici, tout était coloré et extrêmement... Sensitif. Des impressions multiples lui explosaient à la figure à chaque seconde, et il en pouvait pas s'empêcher de les analyser une à une. Cela faisait quelques jours qu'il était là, et il avait découvert plus qu'en dix-neuf ans d'existence. Il brûlait de continuer ces expériences.

Il s'était prudemment assis à l'ombre sous le porche de la maison des particuliers à bonne distance des autres. Les marches froides ressemblaient plus à l'environnement qu'il avait côtoyé jusqu'alors. Devant lui s'étalait le jardin, une étendue d'herbe inondée de soleil et de cris d'enfants. Les oiseaux sifflaient, une fine brise soufflait, ils jouaient tous ensemble si facilement... Fasciné, il ne faisait que savourer l'instant.

21/06/2015

Il n'y avait pas grand monde dans le jardin. La plupart vaquait surement à leur occupation dans la maison. Comme les estres devenaient plus ... Réels, plus inquiétant, plus dangereux, plus déterminés à avoir la peau d'un particulier, rares devenaient ceux qui sortaient encore souvent de la maison. Personnellement, dehors, c'était là que j'avais pratiquement toujours vécue. En pleine nature, avec ses odeurs, ses bruits, son vent, ses feuilles. Tout ce qui constituait la nature. Et ça, je n'étais pas assez ancienne pour m'en passer. Ma vie d'avant me manquait beaucoup trop pour que je chamboule tout du jour au lendemain.
Je suivais le chemin qui menait jusqu'à la maison, pratiquement nez en l'air pour profiter des rayons. Je regardais l'entrée de la maison, sur le proche, se trouvait jeune homme. Il ne semblait pas très vieux, aux alentours de mon âge du moins. Je m'avançais, curieuse, et au lieu de continuer la route pour entrer dans la vieille bâtisse, je m'arrêtais et m'asseyais à côté du garçon.

- Tu regardes quoi ? Demandais-je gentiment.

01/07/2015

Il se retourna, surpris, pour voir une jeune fille s'asseoir à côté de lui. Il la détailla un instant en silence, jugeant à ses vêtements qu'elle ne venait pas des années quarante, et à sa façon de parler, franche mais dénuée d’animosité, qu'elle faisait bien son âge. Il lui donnait entre quinze et dix-huit ans, mais il pouvait se tromper, il n'était pas encore habitué à cette différence d'âge psychologique et physique que possédait certains habitants de la boucle. Ses mèches rouges tombaient sur une peau hâlée par le soleil. Quelqu'un qui avait l'habitude des espaces ouverts et ensoleillés, en somme. Tout son contraire, c'était l'occasion d'apprendre. Allait-elle avoir la patience de discuter avec lui, qui n'avait pour ainsi dire pas eu beaucoup d'opportunités de tester les rapports humains ? Il fallait croire que oui, puisqu'elle le regardait en attendant une quelconque réaction de sa part. Ah, oui, il ne fallait pas qu'il se laisse aller dans des réflexions poussées, ici, il avait le droit à la parole.

Une certaine appréhension l'envahit, quelque chose qu'il avait rarement expérimenté jusqu'à alors – la peur d'être rejeté ? C'était étrange et curieusement exaltant.

Bien qu'il n'avait pas besoin de faire de gestes pour contraindre les éléments qui l'entouraient, il attira l'attention de la jeune fille sur la pelouse d'un signe de main. Quelques brins d'herbe s'arrachèrent d'eux-mêmes et vinrent s'assembler sous le nez de l'inconnue formant des mots de sorte qu'elle puisse les distinguer sans mal sur le ciel azur sans être gênée par le soleil éclatant.

« Tout. »

Voyant venir la prochaine question qui sautaient aux yeux, d'autres brins d'herbe vinrent s’aligner sous le premier mot.

« Je ne parle pas. »

Il guetta la réaction de la jeune fille avec un intérêt croissant sans la quitter des yeux.

21/06/2015

Il ne semblait pas bavard, il me regardait avant de me signifier de reporter mon attention sur le sol. Là, de petit brin d'herbe vinrent gentiment former des mots et donc la pensée ainsi que la réponse du jeune homme. Tout. Tout ce qui était ici, le ciel, les arbres, les feuillent qui volaient. C'était un spectacle pourtant si banale pour moi, je pouvais faire bien plus en levant à peine le petit doigt. La splendeur de la nature n'était pas à son summum. Et cela l'émerveillait tant que ça ? Que lui était-il arrivé avant ? Pour ne pas connaître ça, alors que même les humains le voyaient. Cependant eux, ils n'y faisaient pas attention. Ils passaient sans trop voir ce qu'il ratait.
Et pourquoi il n'ouvrait pas la bouche comme tout le monde ? Il était muet ? Il aurait eu un accident ? Je continuais de regarder les bouts d'herbes. D'un claquement de doigt, les herbes sectionnées repoussèrent comme avant que le télékinésiste ne les coupe. Au moins, il pourrait parler sans craindre de tondre le gazon de la maison. Enfin parler... Il devait avoir un terme plus adéquat, mais je ne le connaissais pas. S'exprimer en découpant de l'herbe, il y plus commun, mais bon, nous sommes des particuliers après tout.
Je me sentis un peu gênée en hochant la tête, j'avais l'impression que... Qu'il m'observait. C'était étrange. Peut-être n'attendait-il que, que j'acquiesce. Si oui, c'était fait.

- Tu t'exprimes souvent avec ce qui t'entoure comme ça ? Je souriais, amusée par cette remarque.

01/07/2015

Il sourit. Elle parlait tout naturellement et disait ce qu'elle pensait directement. C'était plutôt déroutant, quelqu'un d'aussi franc. La remarque était entièrement fondée, ceci dit. Il n'avait pas manqué de remarquer que l'herbe avait repoussé aussitôt, effaçant les traces de son arrachage improvisé. Il avait donc affaire à quelqu'un qui possédait le don de florakinésie, autrement dit la maîtrise des plantes. Elle n'avait peut-être pas apprécié son approche de la nature en question, ce qui était sur, c'était que ce n'était pas la meilleure façon d'engager la conversation. Il ne savait pas vraiment s'y prendre, mais il voulait apprendre. De toute façon, nul besoin de maltraiter ces pauvres brins d'herbe une nouvelle fois puisqu'il en avait déjà à sa disposition. Quoique... Il dû en faire s'envoler quelques uns en supplément. Les mots se formaient au fur et à mesure qu'il les pensait, à une vitesse remarquable.

« Non, à l'intérieur j'utilise des moyens plus conventionnels. »

Enfin, elle n'avait pas l'air fâché, et il s'en réjouissait.

« Je m'appelle Luke. »

21/06/2015

Je hochais la tête, en regardant les morceaux s'additionner pour finalement créer un mot, plus une phrase. Parler avec les meubles ou les objets de la maison, provoquerait à coup sur, des casses. Et l'ombrune n'accepterait pas que l'on endommage la maison, d'une quelconque manière, que ce soit pour son bien ou pas. On ne pouvait pas nier que l'Oiseau était strict, qu'elle avait beau laisser beaucoup de liberté à ses pupilles, si l'une d'elle transgressait une loi, ratait le couvre-feu ou désobéissait, elle serait sévèrement réprimandée. Je n'avais encore jamais su ce qui arrivait, si les autres particuliers en parlaient, ou si tout se faisait pour rester dans le secret. ça pouvait dépendre de la bêtise. Si le personne devait nettoyer les chambres comme corvées, nombreux seraient donc au courant.
Je regardais les phrases, avec l'envie de les remettre correctement. Oui, j'étais assez manique, et voir ça, je dus me retenir de ne pas les refaire pousser. Pour le peu qu'il le prenne mal, ce serait ballot. Je posais mes coudes sur mes jambes et portais ma main droite pour tenir mon poignet gauche, comme un tic. Je pouvais faire ça, même en marchant si quelque chose me tracassait, mais sinon, rien d'autre ne trahissait l'angoisse que je pourrais avoir.

- Swan, ravie de te rencontrer. Répondis-je finalement. Comment ça se fait que tu ne parles pas ? Si ce n'est pas trop indiscret.

01/07/2015

Le jeune homme réfléchit quelques secondes avant de répondre paisiblement :

"Je ne sais pas."

Cela faisait parti des mystères de son mode de vie. Bien sûr, il se les était posé avant elle, toutes ces questions, mais il serait devenu fou s'il avait persisté dans cette direction. Il s'était fait une raison, mais maintenant qu'il était sorti de sa prison de plastique, peut-être qu'il pouvait aller y répondre. Il y avait réfléchi cent fois, mais rien que côtoyer des gens lui semblait tellement impossible, recevoir des nouveaux points de vue et apprendre à connaître des gens en vrai, pas à travers des livres ou une vitre blindée, c'était déjà tellement... Nouveau. Il avait tellement de projets, le premier était de partir à la découverte du monde, et commençait ici. Tous les petits détails de la vie quotidienne que tout le monde vivait mais qui lui était totalement inconnue, il voulait tout savoir. Et Swan pouvait lui apprendre tellement de choses ! Il se retenait mais des milliers de questions lui trottaient dans la tête.

"Dis, tu viens du présent ? Comment c'était, chez toi ? Tu as de la famille ?"

C'était le concept le plus étrange de tous, lui qui n'avait jamais eu d'attaches, et, semble-t-il, n'en avait jamais eu besoin.

21/06/2015

Bien, ça valait mérite d'être clair. Comment avait-il pu changer du tout au tout ? Dans son enfance, il devait parler, comme tout bon enfant qui voulait découvrir monde, non ? Pourquoi aurait-il décidé de se taire à tout jamais ? À moins qu'il n'en soit pas responsable, qui sait, on lui avait peut-être coupée les cordes-vocales il y a longtemps. Ou je me trompais peut-être depuis le début. Je ne savais pas d'où il venait, ni comment il vivait. Il aurait très bien pu être muet dès sa naissance à cause d'un problème, ou si terrifié et choqué par quelque chose qu'il n'aurait plus jamais ouvert la bouche, peu réaliste mais bon. Ces solutions étaient possibles, et ma curiosité croissante était loin d'être assouvie, mais lui aussi, me posait des questions. Bon, bah, il m'avait devancé et je fus assez surprise qu'elles me concernent toute.
Je réfléchissais un instant, décidant de faire pas ordre chronologique.

- J'ai vécu à beaucoup d'endroits différents. D'abord au Canada, dans une forêt avec mes parents. Puis quand elle a brûlé, on a déménagé en Espagne. Mais c'est rempli de monde à tous les coins de rue, bruyant et même la nuit j'entendais des voitures passer, c'était très désagréable. Surtout que je ne pouvais pas utiliser mon don. Avec ma mère, qui était aussi une particulière, on a une nouvelle fois changé de maison pour la France, dans les plaines. Et une fois plus grande, je suis allée en Ecosse où je voyageais la plupart du temps. Donc oui, je viens du présent et j'avais beaucoup de famille au Canada.

Voilà qui résumait bien ma vie pleine de mouvement et de voyage. Et ces grands-voyages s'étaient achevés ici, malheureusement. J'aurai imaginé quelque chose de plus ... Paradisiaque peut-être. Je ne pensais pas que ça finirait au Pays de Galles à cause d'un estre qui voulait ma peau. Pour vous dire, je ne me voyais même pas entrer dans une boucle un jour. Certes je ne menais pas une vie de roi, mais elle me plaisait, cette vie à me promener pour découvrir de nouvelle chose, coupée du monde. Maintenant, c'était différent et j'allais devoir m'y faire, par ce que c'était ici que j'étais certaine d'être à peu près en sécurité.

01/07/2015

Ses paroles le fascinaient. Tant de destinations différentes, tant de cultures à travers le monde, tant de voyages et de sensations différentes qu'il lui était impossible d'imaginer le nombre incalculable de petites choses banales qu'elle avait vécu sans même s'en rendre compte. Elle était aux antipodes de lui-même, enfermé dans sa coquille vide en attendant de pouvoir un jour sortir à la lumière du soleil. Ce contraste était... Saisissant. Et la manière dont elle parlait de tout ça ! En réfléchissant pour bien résumer le tout, d'accord, mais avec une espèce de lassitude, celle de quelqu'un qui a vu beaucoup de choses et y a renoncé. Il ne comprenait pas comment elle pouvait être lassée du nombre incroyable de déplacements qu'elle avait fait, mais après réflexion bouger tout le temps, être sans attaches, devait être... Lassant ? Avoir seulement des attaches éphémères, sans savoir s'il fallait déménager le lendemain. Le contraire de son cas de figure, avec une solitude différente.

"Tout le contraire de moi, fit-il, après avoir enregistrer ses dires. J'ai passé ma vie enfermé dans une boîte blanche."

Elle avait le droit de savoir, puisqu'elle lui avait révélé les grandes lignes de son histoire. C'était équitable.