[Terminé] 0 ami + 0 ami = 1 ami !

Du givre se forma au creux de sa main, on aurait dit qu'elle ne pouvait s'en empêcher. Je me demandais si sa température corporelle était normale, ou si elle était plus basse pour lui permettre de faire jaillir de la glace de ses mains. Il me semblait que les particuliers maîtrisant le feu avaient les mains chaudes, donc c'était sûrement le contraire pour elle. Elle avait l'air nerveuse, avec son pied qui tambourinait au sol et son regard fuyant. Moi-même, je l'étais moins qu'elle.

« Eden ? »

Je vins m'asseoir à côté d'elle, et le vieux bois du banc grinça sous mon poids. Anaïs fit une pause, avant de reprendre :

« C'est pas toi qui peux te métamorphoser en plein de choses ?! C'est génial ! »

Je pris la fleur "congelée" qui était restée sur le banc entre mes mains. La glace qui l'entourait semblait aussi fragile et délicate que la fleur elle-même. Je crois que si je l'aurais fait tomber, elle se serait cassée.

« C'est moi. Je ne te demande pas ce que toi tu fais, hein. » répondis-je en lui montrant la fleur.

Elle éclata de rire, et je ne compris pas trop pourquoi. Je ne croyais pas avoir été drôle, mais je souris tout de même. Elle s'essuya l’œil du bout du doigt, comme si c'était le fou rire de l'année. Après réflexion, je la trouvais un peu bizarre. Je me demandais si elle était mal à l'aise et qu'elle essayait de compenser en riant, ou si c'était son caractère naturel. J'essayais de me remémorer Anaïs avec ses amis, mais je ne parvenais pas à me souvenir de quelque chose.

« Je peux voir une démonstration de tes pouvoirs ? »

C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me sentir à la foire. Seulement, ç'a été le pompon quand elle a ajouté :

« En phœnix ? »

En phœnix ? Et pourquoi pas en licorne, pendant qu'on y est ? Je l'ai fusillée du regard. Déjà, je ne peux pas me métamorphoser en quelque chose ou quelqu'un que je n'ai jamais vu. Or, je ne risque pas de voir de phœnix, puisque ça n'existe pas. Je pourrais à la rigueur me transformer en statue de phœnix ou un truc comme ça, mais je ne le ferais pas. La particularité n'est pas un jeu. C'est ce que je me suis empressée de dire à Anaïs, d'ailleurs.

« Ce n'est pas un jeu, tu sais. »

« Peut-être. Mais je ne suis pas comme ceux qui pensent que les pouvoirs sont des corvées. Tu pourrais faire des choses extraordinaires avec ton pouvoir ! »

Elle a commencé à m'énerver. Anaïs était arrivée il y a une petite vingtaine d'années, elle était encore toute jeune et n'avait pas conscience de tout cela. Sa particularité était encore toute nouvelle pour elle. Et puis, avouons que les nôtres étaient incomparables : elle ne subissait aucun changement physique. Savait-elle ce que ça faisait, d'être enfermée dans le corps d'un autre ? Non. Savait-elle à quel point c'était éprouvant, effrayant ? Non. Sa particularité à elle ne semblait demander aucun effort, si bien qu'elle en abusait. C'était peut-être une minime consolation pour avoir été séparée de sa famille -je ne connaissais pas son histoire, mais elle avait été séparée comme tout le monde de ceux qu'elle aimait- mais ce n'était pas une raison.

« Je ne pense pas que ce soit une corvée. Seulement, tu ne peux pas comparer ta particularité à la mienne. Ce n'est pas du tout la même chose.»

Anaïs se leva et se planta devant moi. Les jambes fléchies, les mains sur les genoux, elle planta son regard dans le mien. Je le soutins sans ciller. Je crois qu'elle pensais m'intimider de cette façon. J'avais vu bien pire. Ce n'étaient pas ses petits yeux clairs, son regard innocent, qui allaient m'effrayer. Elle avait toujours l'air gentille, et c'est ce qui me tint de partir.

« Nous avons toutes deux une particularité. Or, c'est quelque chose d'une même classe éloignée des humains. Donc si il a y des choses communes. »

Je laissai échapper un petit rire. C'était tellement ... tellement ... simple de résumer les choses comme ça. Car ce n'était ainsi qu'elles étaient, non. Si on se contentait de la forme, on pouvait dire qu'une colombe et un mouton étaient pareils. Bah oui, ils étaient blancs tous les deux, tiens ! Et puis, Hope Emma Brown et moi étions pareilles, nous avions toutes les deux un prénom qui commençait par un E ! L'important était dans le fond, et elle ne semblait pas l'avoir compris. Ou seulement quand ça l'arrangeait.

« Après de toute façon, ça ne sert a rien de parler à une butée si la personne en face de vous l'est aussi. Donc bon. Montre-moi ce sont tu es capable s'il te plait ! » s'exclama-t-elle.

Je la repoussais légèrement par les épaules pour pouvoir me lever, moi aussi. Elle se retrouva bien vite à devoir lever la tête si elle voulait me regarder dans les yeux.

« Mais oui, t'as raison, on a plein de trucs en commun ! (Je soulevai une de ses mèches de cheveux et une des miennes) Regarde ! T'as des cheveux, j'ai des cheveux ! (Je pris son poignet et le relevai un peu) T'as des mains et j'ai des mains ! (Je la relâchai) Non, sérieux, tu rigoles, là ? T'as même des chaussures et moi ausi ! C'est complètement dingue, pas vrai ? On est jumelles, là ! » ironisai-je, avec les yeux écarquillés.

« Arrête de te foutre de moi. »

Je devais l'avoir énervée, et sur le coup, ça me fit presque plaisir. Anaïs était tellement bornée ... A mon goût, elle se prenait pour Madame Je-sais-tout, un truc comme ça. Peut-être que ses amis lui passaient ce genre de caprice, mais pas moi. C'était un peu débile de ne pas lui montrer ma particularité, en y repensant, mais je n'aimais pas vraiment m'en servir. J'aurais pu faire n'importe quoi avec, j'en avais conscience. D'ailleurs, je m'étais aussi amusée pendant quelques temps à me métamorphoser en tout ce qui était à ma portée. Seulement, ça m'avait amené à de nombreux problèmes -autant à moi qu'aux autres, en fait. Donc je m'étais calmée. Peut-être Anaïs se calmerait-elle aussi, un jour. Pour l'heure, je n'en savais rien.

« Quoi que je dise tu le prendras comme une chose négative. J'ai l'impression que tu ne sais -en fait- pas user de ton don. »

Ça, c'était gonflé. Savait-elle depuis combien de temps j'étais là ? Depuis combien de temps j'avais découvert ma particularité ? Non, elle ne savait pas. J'avais eu le temps -largement le temps- d'apprendre ce qu'il me fallait savoir sur mon don. La jeune fille me tourna le dos, et alla s'asseoir sur un banc un peu plus loin. Je lui emboîtais le pas, et m'arrêtai devant elle, alors que des flocons de neige jaillissaient de ses mains. A la manière dont elle l'avait fait une ou deux minutes plus tôt, je m'abaissai pour la regarder dans les yeux.

« Ecoute, Anaïs. Je n'ai pas loin de quatre-vingt ans. J'ai eu le temps d'apprendre tout ce qui me fallait savoir sur mon don. Ce n'est pas toi qui va m'apprendre quelque chose là-dessus, tu vois. Si tu restes ici, tu découvriras bien par toi-même ce que ça fait. »

A ces mots, je fis demi-tour, d'un pas énergique, jusqu'à la maison. j'avais l'intention de passer le reste de ma journée enfermée dans ma chambre, à attendre que le temps passe.



[Terminé ?]